25 août 2014

Le tilt et la mémoire traumatique !




Je viens de tester malencontreusement cette "nouvelle" structure qu'offre Winamax: le Go fast.

En ce retour de vacances, un brin désaxée et engluée dans le marasme de la grisaille, voilà qu'un soir, lasse, l'esprit trop épuisé pour me concentrer sur un tournoi et ne prisant plus trop les sit and go , rassasiée voire saturée des expressos, je suis me suis alors aventurée en terre inconnue!
Ah moi qui refusais le cash game habituellement au nom du saint "connais toi toi-même" de papy Socrate, je suis tombée par inadvertance, par oisiveté (mère de tous les vices) dans l'onglet "go fast"...

Rien que le nom j'aurais dû savoir que cela n'était pour moi et quitter au plus vite cette iconographie dantesque de voiture de course dopée à l’adrénaline... mais non! je me suis installée et laissée conduire, curieuse.
Courageuse mais pas téméraire ou pas encore complètement insouciante, j'ai choisi évidemment la plus petite structure...le drame serait ainsi très limité à seulement 2 euros et dans ce cocon douillet, je me suis prise à jouer et à me régaler de la vitesse de zapping  de ce go fast et du "instant fold" (déjà que je ne fais pas assez attention et analyse pas assez bien le jeu de mes partenaires, inutile de dire qu'ici tout est fait pour que sans complexe au lieu de jouer en fonction des autres, notre position etc, nous jouons nos cartes dans un automatisme simpliste.)

Bien sur j'ai entendu la petite voix de Phil comme un résidu d'une ancienne conversation me rappelant que justement c'est pas mes cartes que je devrais tout d'abord regarder, voix rejointe par une voix étouffée de basse de Bruno toujours perdu dans mes gorges profondes (petite recette de grand-mère: prenez et coincez-vous un chihuahua dans la gorge et vous pourrez chanter comme José Van Dam)...mais malgré ces voix qui me hantaient; j'ai gagné le 1er jour un peu, puis le 2e un peu plus encore, idem le 3e ...du coup, j'ai changé de buy in et telle la chèvre de Monsieur Seguin , j'ai complètement enfoui les voix de ma conscience pokéritistique pour au bout de 4e jour, me faire brûler  et cela sans même l'aide de la perfide Albion ...cochon qui s'en dédit!

Bien sur, à ce moment-là, j'avoue avoir tilté d'avoir perdu l'immense somme de 5 euros par un vilain A10 suited venu gentiment craquer ma paire d'as par une quinte ...

Tiilt! game over! mal, patraque, dans une rébellion orgueilleuse et désespérée, j'ai voulu me refaire (voilà pourquoi je ne joue jamais au cash game) mais, ayant perdu toute confiance en moi, j'ai alors choisi une table à moindre buy in, pour perdre, évidemment,  à peine 10 mn après, 2 autres euros!

J'avais oublié la mémoire traumatique liée au tilt!

En effet dans notre petite psyché quand la  mémoire est saine, la majeure partie du temps donc (enfin pour la plupart d'entre nous) elle est évolutive: c'est-à-dire qu'elle change selon les ages et les contextes...

En revanche, la mémoire traumatique est déchirée car tout simplement la représentation de soi est déchirée.
Anna Freud expliquait bien qu'il fallait distinguer  le trauma qui est le coup et le traumatisme qui est la représentation du coup...les deux sont très différents et pas forcément de la même échelle.
C'est aussi ce qui nous distingue a priori des autres animaux: ceux-ci prennent un coup, ils crient, ont mal et s'enfuient Nous ne fonctionnons pas ainsi : les hommes en fait reçoivent deux fois le coup: d'abord l'événement, le bad beat (ou trauma) mais ensuite de ce mauvais coup vient le traumatisme car nous focalisons sur sa représentation : pourquoi il m'a dit cela, pourquoi il m'a fait cela, pourquoi moi...pourquoi dans notre cas présent ai-je joué mes as préflop ainsi?
C'est une autre forme de souffrance qui altère la mémoire et l'immobilise... notre mémoire est un peu comme la femme de Loth, dans l'ancien testament, lors de la destruction de Sodome et Gomorrhe (le coup) qui s'enfuyant se retourne sur la ville détruite (traumatisme) et se retrouve alors statufiée en statue de sel (mémoire altérée) tandis que Loth, lui, continue sans se retourner comme il lui fut commandé (mémoire saine et donc évolutive).

En fait, la mémoire traumatique se caractérise par un scénario souvent identique:: en premier lieu vient l’hébétement (ici au moment où surgit la quinte éventrant ma paire d'as gagnante préflop sur cet AS10)...hors de son monde pas préparée , je suis chaos debout (avec ce putain de all in, fatal).
Vient ensuite, pernicieux, le tilt car ma mémoire se fixe sur ce bad beat . Il surgit alors toute échelle confondue comme un syndrome psycho traumatique:  je reste prisonnière du passé;  la mémoire n'est plus saine, n'est plus évolutive et l' image se répète, constamment dans ma tête.
Je ne pense qu'à cela,  totalement captive du passé...

De cet événement et de mon manque de distanciation suite à ce traumatisme, je me mets alors à mal jouer car je perds confiance en moi, en mes cartes, remplaçant (oui Bruno: les outs, les outs) les statistiques ou ma méthode de jeu (admirable of course: la méthode fishy à apprendre confortablement chez soi ) par de la pensée magique...je me rappelle d'ailleurs à ce propos un collègue blogueur épuisé de s’être fait craqué deux fois les rois, qui disait sur skype: "si je les ai encore , je les jette! je les jette!"



C'est aussi parce que cette mémoire traumatique dans notre cerveau fige ces traumatismes que le cerveau se rappelle plus les mauvais coups que les bons coups...c'est également la raison pour laquelle nous avons toujours tendance à penser que nous empruntons systématiquement la mauvaise file d'attente avec la caissière qui va remettre son rouleau ou chercher un prix pendant 5 mn, que nous voyons plus de bus ou métro dans l'autre sens ... ou que nous retenons plus les bad beat au lieu des fois où les cartes tournent en notre faveur.

Moralité: les bons joueurs de cash game ont donc une mémoire bien moins traumatique que la mienne ...entre autres petites choses !!!

10 commentaires:

  1. Je t'admire j'ai même pas tenté ^^

    RépondreSupprimer
  2. Rires, ben comme disait le petit gibus: "si j'avais su, j'aurais pas venu"

    RépondreSupprimer
  3. je pense que seuls les joueurs de pokers peuvent comprendre cette poussée d'adrénaline si non i l y a les groupes de parole pour les joueurs qui veulent décrocher le jeu ça peut aussi bousiller une vie et une famille...

    RépondreSupprimer
  4. Je te remercie Nessa, je pense que tout joueur peut saisir...certes il y a beaucoup de choses pour décrocher mais avant que ca bousille une vie ou une famille, comme tu dis, je pense qu'il faut être extrêmement dépendant et addict ce que la majorité des joueurs ne sont pas...c'est un peu comme si j'avais fait le descriptif d'une soirée un peu arrosée et que tu me parlais d'alcoolisme... :)

    RépondreSupprimer
  5. oui j'ai adoré....une expression que j'ai honteusement plagié à Cyrulnik lors d'une de ses conférences sur justement la mémoire traumatique qui m'a inspiré ce billet

    RépondreSupprimer
  6. Très bon billet "post traumatique" !

    RépondreSupprimer
  7. rires, oui je panse et pense encore à mon trauma :)

    RépondreSupprimer
  8. Oh putaing, le trauma !!!! Voilà 35 ans que j'en avais pas entendu parlé !!!! Mais pourquoi je ne me suis pas intéressé à la Philo en terminale mon blog aurait été plus passionnant !!! Une fois de plus bluffant ! Bravo !!!

    RépondreSupprimer
  9. Rires, merci Eole...j étais une cancre à l école avant la fac m intéressant seulement au français, dessin, histoire de l'art et philo...si j'avais fait un peu plus de maths mon jeu aurait été surement meilleur hélas...merci de ton commentaire qui a chaque fois me touche et donne encore envie d'écrire mes bêtises :)

    RépondreSupprimer